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Shiva party

  • fredvassort2000
  • 21 mars
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 22 mars

Alors que nous terminons notre deuxième hiver à Kathmandu, l’arrivée des beaux jours se double d’une intense activité religieuse et spirituelle.

Le grand moment hindouiste de fin d’hiver au Népal est Maha Shivaratri . D’autant plus important ici, qu’il se célèbre notamment au temple de Pashupatinath de Kathmandu, classé patrimoine mondial de l’UNESCO (voir https://www.nepalimpressions.com/post/vishnu-ganesh-shiva-budha-et-moi-et-moi). Cette année est particulièrement faste car de l’autre côté de la frontière, sur les bords du Gange se déroule cette année (tous les douze ans seulement) Kumbh Mela, où l’on attend -sur un mois quand même- entre 200 et 400 millions de personnes (on ne va pas chipoter sur les estimations, disons une très grosse moitié de la totalité de la population européenne). Shivaratri à Kathmandu, ce ne sera que 2 millions, sur deux ou trois jours…une grande cousinade hindoue en somme, on sera juste un peu serrés à table. Tous les Népalais religieux et de très nombreux Indiens viennent rendre hommage à Shiva l’Auspicieux, le créateur et destructeur, garant du cycle de la vie.

Etant local de l’étape (nous habitons à 3km du temple), je me suis bien sûr rendu sur place, en début de journée, pour essayer d’éviter la foule. Les routes d’accès sont entrain d’être bloquées par la police, qui travaille sur l’organisation depuis des mois. Peine perdue, immense cohue quand même. On n’a pas conscience de la densité d’une foule tant qu’on ne s’est pas retrouvé au milieu d’un regroupement en Asie du Sud. Le flux est ininterrompu, coloré des saris magnifiques des femmes, ponctué des cris des familles se cherchant, mais, surprenamment, relativement calme et presque ordonné.

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Hors de question d’envisager un changement de direction cependant, ce serait se vouer à un piétinement irrémédiable. Je suis donc le flot, m’aiguillant automatiquement vers l’entrée des familles (il y en a deux autres distinctes, pour les hommes et les femmes), et pénètre dans la première enceinte du temple. Première surprise: ambiance de kermesse avec ses vendeurs de jouets pour enfants, de friandises colorées, de bibelots en tous genres, de statues de Bouddha (comme partout ici, le bouddhisme et l’hindouisme sont entremêlés), d’encens, de petits beignets et autres multiples colifichets comestibles ou non, et même de stands de diagnostic médical. L’analogie la plus proche serait un joyeux mélange de Lourdes et de foire du Trône.

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Juste avant l’entrée dans la deuxième enceinte, je suis dirigé vers une série de tentes dressées là pour l’occasion où sont exhibées d’étranges expositions liées à Shiva. Une série interminable de Lingam portant chacun une signification différente (qui m’échappe bien sur), des panneaux assez ésotériques de gurus où je reconnais Jésus entre autres (la théorie selon laquelle Jésus serait venu dans le Nord de l’Inde y est peut-être pour quelque chose), et encore plus bizarre, une reconstitution type crèche d’une vingtaine de poupées habillées en déesses, précédant un tableau vivant de Shiva paré de sa peau de tigre et de son trident, tenant à distance des diablotins représentant chacun un péché. Le tout ponctué de musique traditionnelle jouée par un orchestre sur scène. L’étrange se mêle au bizarre.

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Mais les rangs de la foule se resserrent en pénétrant dans la dernière enceinte du temple. Je remarque que les femmes et les enfants ont presque disparus. Et pour cause, car nous sommes poussés dans un goulet traversant un petit temple encore en restauration, où la foule compacte et pressante doit enjamber un tas de briques laissé là en plein milieu, tout en se faufilant entre des tôles ondulées mal arrimées et en devant passer sous des étais barrant le chemin. On nous avait bien prévenu que l’évènement était préparé depuis des mois. Shiva avait tu tenir à organiser un petit gymkhana pour se distraire. Miraculeusement, aucun mort à déplorer.

Et là, soudainement, le mystique reprend le dessus. Un sadhu à moitié nu perché sur un muret asperge la foule d’eau bénite (elle doit venir du cloaque voisin qui se prétend rivière sainte) à l’aide d’une queue de vache : l’extase est à son comble, la foule répond en incantations véhémentes (j’en ai demandé le sens, mais il semble échapper à tout le monde, peu importe, c’est l’intention qui compte).

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Je n’échappe pas bien sur à la tikha (la tache rouge au milieu du front) qu’un saint homme m’appose sans me demander mon avis. J’ignore comment Shiva reconnaitra les siens, donc mieux vaut se parer de tous les atours possibles.

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La foule continue de me porter, mais commence à diverger, une partie se dirigeant vers la partie ancienne du temple et ses Ghats où les buchers de crémation fonctionnent à plein régime au milieu de cette cohue (heureux trépassés qui ont l’immense honneur d’être mort ce jour très sain), et l’autre qui monte vers le sommet de la colline, se poussant, s’invectivant, sous l’œil placide des sadhus enivrés qui continuent à rouler leurs saintes cigarettes.  Car Shivaratri est le jour où la consommation et la vente de ganja (la marijuana locale) sont autorisées, pour mieux s’approcher de Shiva. Ces ermites enturbannés qui affluent ce jour là par centaines de tout le monde hindou s’y adonnent avec toute la religiosité que leur statut autorise. Pour la bonne cause bien sur.


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Arrivé au sommet de la colline, la foule s’éparpille quelque peu au milieu des stuphas. Les uns picknickent en famille assis par terre, d’autres multiplient les selfies devant les statues des divinités, quelques-uns fument tranquillement leur joint assis sur un mur, dans un brouhaha où se mêlent les cloches et les gongs des temples, et la musique déversée par des haut-parleurs un peu partout.

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Mais là, comment ne pas mentionner, dans ce lieu sacré et protégé, un aspect moins divin : le site est jonché de poubelles à ciel ouvert partout, impossible de ne pas traverser une décharge pour aller d’un endroit à un autre.

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Shiva doit fulminer, mais il serait bon qu’il fasse quelque chose car les proportions de cette pollution sont maintenant dramatiques au Népal, il est même assez incompréhensible que dans des conditions pareilles, l’UNESCO n’ait pas encore enlevé son label de site mondial à ce temple.

Et justement, Shiva, le voici, entouré de ses influenceurs qui se prennent en photos à tout va, entre quelques énormes taureaux impassibles, les véhicules de Shiva, paissant la rare herbe du site.

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Je me dirige vers un attroupement entre deux grandes stuphas, et découvre, assez incrédule, un concert de rap népalais, live, devant une foule en délire. Le mystique électro tonne à se défoncer les tympans.



Je redescends de cette colline sacrée en essayant de me frayer un chemin dans la foule, et croise plusieurs campements de Sadhus, qui se roulent religieusement dans la cendre de bouse de vache (ou de taureau plus probablement): le mystique refait surface, au milieu de cette improbable cohue.

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Improbable Népal, impénétrable hindouisme, complexe, déroutant, attirant les plus grandes foules de la planète dans des pèlerinages colossaux, mais étrange combinaison de spirituel et de profane, d’ordre sacré ancestral et des pires maux modernes.


L’occasion de le constater, sous un autre angle, m’est encore donnée quelques jours plus tard. Nous sommes invités à Pokhara chez des amis népalais, pour fêter son anniversaire et le mien, qui tombent le même jour (le sien est ce jour là cette année mais en calendrier lunaire néwar il varie…bref, restons simples). Pour l’occasion, il a organisé pour nous deux une Puja d’anniversaire : une célébration de bénédiction hindoue pour placer cette nouvelle année sous de bons auspices. Deux prêtres brahmin ont été convoqués à l’hôtel où la fête se tient pour l’occasion : un maître et son jeune disciple. Je suis invité à m’assoir, déchaussé et dépourvu de ma ceinture et tout autre objet en cuir (peut-être de vache, donc sacré), devant un petit autel dressé pour l’occasion.

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Allumage des bougies rituelles, parement de chacun d’une superbe tikha rouge au milieu du front, puis interminable succession d’offrandes à déposer dans un grand plat au milieu de l’autel.

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Mon comparse népalais me conseille de juste suivre ses gestes. Je m’exécute avec concentration. Les deux prêtres récitent des mantras qu’ils lisent dans un missel (faute d’un autre nom) et nous enjoignent parfois à une nouvelle série d’offrandes : des grains de riz, de la poudre de divers épices, des herbes sacrées, allumer une autre bougie à huile, faire bruler d’autres herbes sacrées, disperser des pétales de fleurs et inévitablement, car même ces saints hommes ne vivent pas que de spiritualité et d’eau fraiche: glisser quelques billets dans une coupelle, ça peut toujours servir.


Voici le moment des incantations chantées.Véronique est invitée à énergétiquement jouer de la clochette, en rythme, et s’exécute avec une application telle qu’une des assistantes est obligée de lui dire d’arrêter au bout de 5 bonnes minutes. Il faut avouer que le rituel et sa rythmique inviteraient assez facilement à la transe, mais, concentré comme je le suis sur le suivi de la liturgie, je n’en suis pas là. On nous entoure le poignet d'un fil sacré, que l'on peut au choix, garder au poignet jusqu'à son usure, ou, nous explique-t-on, le nouer autour de la queue d'une vache (je l'ai donc toujours, je n'ai trouvé aucune vache consentante). Je m’aperçois que mon ami n’est en fait pas beaucoup plus au courant du rituel des opérations que moi. Autour, s’agitent dans une joyeuse cohue, les amis et la famille, qui téléphonant joyeusement, qui prenant des selfies, qui ignorant ostensiblement tout le cérémonial. Encore une confirmation que même si la religion est omniprésente dans le quotidien népalais, la spiritualité recueillie n’est pas une dimension marquante de la pratique religieuse hindouiste.

La cérémonie, qui a duré près d’une heure (mais c’était la version courte parait-il), se termine quand chacun des deux élus de la journée mange d’une seule bouchée les 5 aliments saints de l’occasion (représentant les 5 éléments) : un œuf dur frit dans la panure, un poisson séché englouti la tête la première, un beignet et quelques autres mets de premier choix qui n’auront certainement pas les honneurs des grandes tables.



Heureusement, là encore, pragmatisme oblige, chaque bouchée est arrosée d’un verre de vodka (sainte bien sur puisque administrée par le brahmin lui-même). Nous voilà tous deux réconfortés, et d’attaque pour une nouvelle année pleine de surprises !


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1 commentaire


Jean-Luc Sautel
Jean-Luc Sautel
21 mars

Génial ! Quelle faculté d'adaptation. Que de couleur ! Il y a 30 ans, le Népal me paraisparaissait infiniment plus "propre" que l'Inde... au plaisir de revoir le saint homme que tu es devenu.

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