Thé ou café ? L'âme de l'Ilam
- fredvassort2000
- 11 déc. 2024
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 déc. 2024
Avant de rentrer dans l’hiver Népalais (tout relatif à Kathmandu,il ne gèle jamais, mais le temps devient plus frisquet quand même), et pour échapper à la pollution qui commence à s’installer (les rizières des plaines ont été moissonnées, les chaumes brulés, ce qui infeste tout le nord du continent d’une fumée persistante), nous profitons des congés de Tihar (une des fêtes religieuses principales au Népal, équivalent du Diwalhi indien) pour nous échapper vers l’extrémité Est du Népal, en Ilam.

C’est une région étonnamment laissée de côté des circuits touristiques classiques, à tort comme nous le découvrirons.
Atterris à Birathnagar, à l’extrémité Sud-Est des plaines du Terai, nous progressons d’abord à travers les paysages typiques de ces plaines, que nous avons déjà connus à Bardhya ou Chitwan: rizières où le riz finit de murir, alternant avec des forets de Sal et des ilots de jungle. La nature ici est toujours aussi luxuriante, on se lasse de le dire, pas de s’en laisser surprendre.

Comme toujours au Népal, la sortie de la grande zone de plaines du Terai est brutale. Sans transition, la route monte violemment: on gagne 1000m en quelques dizaine de minutes, au prix des virages habituels de ces « collines ». Le gain d’altitude apporte avec lui son changement de température, et nous passons soudain du climat tropical des plaines à une brume assez fraiche à travers laquelle percent les crêtes des monts environnants, on se croirait presque en Ecosse dans cette atmosphère brumeuse. Pas la brume jaune et sale qui encombre la vallée de Kathmandu une bonne partie de l’année, mais des bancs de nuages s’accrochant aux flans de ces premières collines qu’ils rencontrent après s’être formés au dessus du golfe du Bengal, les obligeant à s’effilocher lentement en créant ces paysages mystiques tout en nuances de gris semblables à des estampes japonaises.

Notre progression sur la crête de ces collines nous amène déjà vers les premiers coteaux couverts de plants de thé qui bordent la route. Des panneaux vantent le paysage des plantations de thé se découpant sur le fond des monts enneigés de l’Himalaya…dois-je préciser encore une fois, au risque de lasser le lecteur, que nous n’en avons rien vu: notre karma nous poursuit, il n'y a décidément pas de montagnes enneigées au Népal !
Arrivés à Fikkal, grosse bourgade accrochée au confluent de plusieurs vallées fertiles, nous sommes accueillis dans notre pension par une jeune Népalais d’origine tibétaine qui avec quelques associés à décidé de monter ici un petit hôtel charmant pour développer le potentiel touristique de la région. C’est une bâtisse construite entièrement en terre compactée, simplement mais joliment décorée, donnant sur les plantations de thé alentours.

Habitués à la rusticité des hôtels du pays, nous sommes agréablement surpris. Il faudrait au Népal plus d’initiatives de ce genre, prônant un tourisme de qualité et s’intégrant avec discrétion dans la vie locale. Un petit coup de pub à Sunshine Villa Fikkal une fois n'est pas coutume !
Le lendemain, notre hôte avait organisé une visite d’une plantation de café dans la vallée voisine. Car si l’Ilam est connu pour ses plantations de thé, depuis quelques années, des entrepreneurs ont également développé le café. L’altitude et le climat y sont idéaux. Après avoir laissé le 4x4 au bord de la piste, nous descendons au fond de la vallée en traversant des champs fertiles en cours de moisson, disséminés en lisière de forêt, encadrants une petite rivière sinuant à travers les arbres.

Sur l’autre rive, sous le couvert d’une jungle légèrement éclaircie, nous découvrons les jeunes arbres à café, plantés pour la plupart il y a moins de 5 ans. Ils s’étalent dans ce vallon sur 50ha, ce qui en fait la plus grande plantation du pays.



Une modeste construction abrite les machines d’extraction des fèves et de séchage. Le directeur, un Népalais passionné qui vit là à l’année nous fait faire le tour du propriétaire. Ils en sont au tout début, mais les espoirs sont grands.

Le principal investisseur est la chaine de coffee shops « Himalaya Java Coffee », la grande success story de Kathmandu, qui a créé une version locale (et nettement meilleure) de Starbucks, et cherche maintenant à se fournir en café dans le pays. En saison de récolte, il embauche les femmes des villages voisins. C’est d’ailleurs là un des risques principaux de l’aventure -outre ceux strictement agronomiques- : la main-d’œuvre ici , comme partout, se fait rare à cause de l’émigration.Il nous montre le futur lodge qui pourra abriter des touristes voulant se mettre au vert et découvrir cette nature luxuriante, au bord de la rivière, déjà pourvu d'une piscine (enfin, le bassin en béton d'une future piscine !). Nous lui souhaitons bonne chance et promettons de revenir !


Enfin, plus tard dans la journée, place au roi de la région : le thé. Il est cultivé ici en débordement de la région adjacente de Darjeeling en Inde, mondialement connue, à portée de vue des sommets des collines, juste de l’autre côté de la frontière. Nous nous trouvons en effet à l'extrémité Est du Népal, frontalier avec le Sikkim, un ancien royaume (comme le Buthan) séparant d'un mince isthme terrestre le Népal du Bangladesh. Opportunément rattaché à l'Inde en 1975 peu après la création du Bengladesh, ce qui permet à l'Inde d'avoir une continuité territoriale sur toute la frontière, jusqu'en Birmanie. La géographie reste la mère des enjeux géopolitiques...Presque à l'endroit où nous nous trouvons, le Bengladesh n'est qu'à 17km à vol d'oiseau.
Visite de la plus grande usine de thé de la région, malheureusement à l’arrêt pour cause de congés.
Le Népal est très en retard que son immense voisin dans la valorisation de ce produit, mais cette entreprise semble pouvoir le rattraper. Ils sont fournisseurs d’une grande marque allemande, produisent une variété de thés haut de gamme qui peut les aider à prendre des parts de marché. Mais là aussi, le manque de main d’œuvre pèse comme une menace.
Nous revenons en parcourant les vallons couverts de ces « jardins de thé », comme ils sont nommés ici, effectivement semblables à d’immenses parcs que la cueillette régulière des feuilles permet d’entretenir et leur conserver cet aspect de rangs de buissons lustrés parfaitement ordonnés comme dans le plus beau jardin botanique.



Nous continuons jusqu’au dernier village de la vallée qui fait office de poste frontière. Malgré nos visas en ordre, nous ne pouvons cependant pas traverser car il ne s’agit pas d’un poste habilité à laisser passer les étrangers…il manque un tampon et l’homme le tenant.

Nous nous inclinons sans insister devant la toute puissance des administrations népalaise et indienne combinées : à l’impossible, nul n’est tenu.
Au retour, halte à une fromagerie, qui témoigne là encore des essais de diversification de cette région. Enormes tomes fabriquées avec le lait des pourtant bien maigres vaches locales (parées ces jours-ci de leur Tikha car elles sont révérées pendant cette période de festivals), on se croirait dans les Alpes suisses.
En fait, nous apprendrons que c'est une aide hollandaise qui a permis l'établissement de cette fromagerie. Le Gouda de Budha.
Le lendemain, nous partons pour une longue randonnée pédestre serpentant dans la vallée que notre hôtel domine. Le tourisme népalais étant toujours un peu aventureux, nous n’avons que des indications très vagues de notre hôte et l’espoir que GoogleMaps, encore une fois, pourra nous indiquer le chemin au cas où. Nous serpentons d’abord à travers les rangées de théiers, à flan de collines, toujours éblouis par la diversité de la nature ici.
Nous descendons graduellement, traversant de petits hameaux où les gens nous regardent passer avec ce mélange contradictoire d’indifférence et de curiosité assez typiquement népalais. Nous sommes rassurés en demandant notre chemin, que l’on nous réponde à force de gestes expéditifs que « c’est toujours tout droit, et plus loin à gauche». Plusieurs bifurcations et quelques heures plus tard, nous entreprenons la remontée de cette vallée qui est décidément bien plus longue et profonde qu’il n’y paraissait. Nous rencontrons finalement un groupe d’enfants tout endimanchés qui viennent de terminer leur repas de Tihar en famille dans leur ferme posée à flan de coteau.



L’accueil népalais n’est pas une légende. L’adolescent de la famille nous propose de nous emmener lui-même voir la cascade que nous avions repérée sur la carte mais qui se dérobait à nous jusqu’à maintenant. Aucune chance de la trouver nous-même : il faut traverser plusieurs fermes où paissent buffles et chèvres, cheminer sur des sentes indistinctes dans la forêt, pour enfin, soudainement, déboucher sur cette magnifique chute d’eau de plusieurs dizaines de mètres jaillissant de la jungle.


Le jeune garçon insiste pour que nous revenions avec lui par le même chemin, mais nous préférons tenter notre chance et gravir la montagne le long de la cascade, en espérant déboucher sur la crète et regagner ainsi notre point de départ. Il nous regarde partir l’air vaguement inquiet, plein de circonspection sur ces touristes occidentaux que l’on ne croise jamais dans ces parages.
La remontée est des plus raide. Un escalier souvent envahi par la jungle a été taillé en des temps où cette cascade était un but de promenade, ce qui n’est visiblement plus le cas.
Nous débouchons finalement sur un sentier bien marqué et un réseau de pistes qui nous mène bien finalement au sommet. Une échoppe au bord de la route nous permet même de nous restaurer d’un thé népalais bienvenu au terme de cette longue promenade.

Au sommet de la crête trône un étrange immense Budha voilé. Les islamistes en Ilam? On nous rassure, il parait que la statue n'est pas tout à fait terminée et que le visage du prince ne sera dévoilé qu'à sa finition complète.
Encore presque une bonne heure de descente par la route serpentant au crépuscule sur le sommet des plantations de thé, baignées d’une splendide lumière dorée. Ces 6 heures de marche et quelques jours passés ici nous ont offert un splendide aperçu des paysages de l’Ilam, certes moins saisissants que ceux des cimes de l’Himalaya, mais offrant encore une fois un autre visage du Népal, qui ne demande qu’à être plus connu.





























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