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Province de Karnali: à l'Ouest, rien de nouveau...

  • fredvassort2000
  • 13 déc. 2024
  • 10 min de lecture

Après l’extrème Est il y a quelques semaines, cap cette fois-ci vers l’Ouest. Province de Karnali, une des plus pauvres du pays, à cause de son isolement. Une partie du territoire est en effet composée de très hautes vallées (le Dolpo, Humla) coupées du reste du pays, où vivent des populations souvent d’origine tibétaine, à des altitudes de plus de 3000 ou 4000m, sur les contreforts du plateau tibétain.

Nous n’irons pas si loin cette fois-ci car l’accès nécessite plusieurs jours de marche et nous ne partons que 4 jours. Nous reviendrons vers ces hautes contrées une autre fois, en prenant le temps.

Son Excellence ayant une visite officielle prévue à Surkhet, la capitale de la province, je me joins à elle pour découvrir cette partie du pays.

Une heure d’avion depuis Kathmandu en longeant tout le massif de l’Annapurna qui dépasse des nuages nous offre enfin un panorama sur les hauteurs de l’Himalaya, et nous permet d’arriver sans encombre dans cette grosse ville. Ah, j’oubliais, les transports ici n’étant jamais simples : nous avons quand même dû attendre deux heures à l’aéroport, que l’avion officiel du Premier Ministre décolle pour l’emmener en visite officielle à Pekin, car ceci nécessite de libérer l’unique piste de l’aéroport pour que lui, au moins, décolle à l’heure. Notre avion, et tous les autres, peuvent attendre.

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Surkhet, ...que dire. Une ville népalaise de plus, conforme à la norme locale. Adossée aux premières collines s’élevant depuis les plaines du Terai, son petit aéroport, ses rues quadrillées car la ville est assez récente, sa grande artère centrale poussiéreuse aux bas-côtés encombrés de matériaux de constructions divers, ses petites échoppes multiples donnant sur la rue, ses camions traversant la ville dans un nuage de poussière et de gaz d’échappement, son hôtel moderne (et confortable, il faut le souligner) où séjournent tous les touristes un peu fortunés (dont nous). Ah, si bien sur, son usine de bitume en plein milieu de la ville noyant tout le centre sous un épais nuage de fumées noir d’encre pas forcément conformes aux normes internationales...



Officiellement 150.000 habitants, mais les autorités locales pensent que la migration des campagnes et montagnes voisines, soit saisonnière (les villages des hautes vallées se vident en hiver) soit maintenant permanente, l’amène plus autour de 500.000 personnes. Difficile de se plaindre du manque d’infrastructure quand de telles incertitudes obèrent la planification urbaine.

Cette semaine, Surkhet se trouve accueillir plusieurs séminaires provinciaux sur les violences faites aux femmes et plusieurs thèmes de développement. Nous assistons donc (et contribuons) au déploiement dans notre hôtel et dans la ville de toute l’immense industrie des organisations internationales, ONG, multiples agences de l’ONU et autres associations locales d’aide au développement, chacune ayant sa cause, toutes imbriquées dans de longues chaines de sous-traitance où le profane peine parfois à comprendre qui fait quoi. Une jeune étudiante habitant Surkhet explique avec un brin d’ironie et d’auto-dérision que chaque immeuble de la ville abrite un bureau d’ONG. Une vraie industrie vous dit-on.



Ce n’est pas très politiquement correct, mais c’est un fait établi, le Népal vit sous assistance internationale depuis des lustres, et c’est très certainement l’industrie la plus structurée et développée ici. La majorité des jeunes Népalais éduqués qui ne pense pas (ou a renoncé) à émigrer, rêve d’intégrer une de ces multiples organisations qui payent mieux que la moyenne, offrent des avantages et une certaine sécurité de l’emploi. Un des multiples effets pervers est d’ailleurs que les meilleurs éléments sortant de l’université se dirigent vers ces organisations, asséchant ainsi le réservoir de talents dont la haute administration népalaise aurait bien besoin (justifiant par là-même l’assistance des organisations internationales….etc…).

Les premières réunions et conclaves conclus, nous partons enfin sur le terrain, en prenant la route pour Jajarkot, situé au Nord Est de Surkhet, à l’extrémité d’une large vallée. Ce district a été le lieu du dernier tremblement de terre, il y a exactement un an. 154 morts (assez peu finalement au vu des destructions), mais surtout environ 50.000 personnes ayant perdu leur logement. L’Union Européenne avait alors mobilisé ses capacités d’aide d’urgence (une personne s’occupe de cet aspect en permanence à l’ambassade, tant le pays est exposé aux diverses calamités naturelles) notamment en déployant 800 tentes hivernales (isolées, avec petit poêle à bois incorporé) pour l’hébergement d’urgence.

La route menant à ce district isolé est surprenamment roulante et en bon état. Nous longeons, d’abord dans une végétation de plaine, une large rivière, affluant du Ganges, et montons progressivement dans les collines.



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Nous passons devant un immense chantier de construction d’une dérivation de la rivière pour irriguer les plaines du Sud. Un de ces méga projets qui parsèment le pays qui semble en construction permanente.

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Les campagnes que nous parcourons semblent bien moins densément peuplées que les autres contrées que nous avons déjà visitées. L’habitat traditionnel, petites maisons aux murs de terre et toits de lauzes prévaut toujours, n’ayant pas encore été remplacé par les cubes en béton et toits de tôle peinturlurés qui mitent le paysage ailleurs. Nous croisons deux processions de funérailles, emmenant le corps vers le bord de la rivière. Est-ce la saison des crémations ?



Petite halte pour couper le long trajet de cinq heures, qui nous donne l’occasion d’observer une école en plein air, le long de la vallée.



La rivière prend des tons turquoise magnifiques alors qu’elle s’étire dans la vallée qui se resserre au fur et à mesure que nous prenons de l’altitude. La vie agricole ici semble bien modeste, une mince bande de terre autour de la rivière, et des terrasses accrochées de façon souvent improbable à flan de montagne constituent les maigres terrains arables.



Arrivée à Jajarkot, chef-lieu de district, perché au sommet d’un piton, dominant deux vallées. Avec un peu d’imagination, cela pourrait être une forteresse cathare.


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Première réunion avec le chef de district (qui a des compétences similaires à un Préfet français), dans ses bureaux récemment reconstruits car le bâtiment d’origine s’est écroulé pendant le tremblement de terre. C’est un jeune gars, récemment muté ici, qui a l’air un peu perdu dans ses nouvelles fonctions et se raccroche aux directives envoyées par Kathmandu comme un naufragé à sa bouée. La rotation fréquente des fonctionnaires est un des problèmes de l’administration népalaise, qui oblige à de perpétuels cycles de réapprentissage, en plus de toutes les inefficiences caractéristiques du pays. Il fait ce qu’il peut, mais se débat entre le niveau fédéral auquel il reporte (le ministère à Kathmandu) et le niveau provincial (Surkhet) qui est censé, depuis la dernière réforme constitutionnelle de 2015, détenir la plupart des pouvoirs. Seul hic, les lois dévoluant officiellement les-dits pouvoirs et surtout les budgets associés n’ont jamais été votées…

Il nous explique qu’une première tranche d’aide financière d’urgence aux victimes déplacées du tremblement de terre a bien été attribuée rapidement après le sinistre, mais que la deuxième est l’enjeu d’interminables arguties entre les différents niveaux de pouvoir, pour s’assurer que le versement se fera bien aux vraies victimes, et pas à d’éventuels fraudeurs. La toute puissante administration népalaise, depuis ses bureaux de Kathmandu, demande donc des dossiers complets, photos des maisons détruites à l’appui, pour être certain de ne pas dépenser la prochaine tranche pour rien. On parle de 180€ par ménage…soit un cout total potentiellement distribué « en trop » pour les éventuels fraudeurs estimés à 10.000 ménages (en fait, probablement pas des fraudeurs, mais des familles qui logeaient ensemble à plusieurs générations dans la même maison, et qui sont maintenant relogées en habitat d’urgence dans des maisons séparées) de 1,8 million d’Euros pour le budget népalais (doit-on vraiment rappeler le niveau de corruption ambiant pour fixer les ordres de grandeur ?)…une paille. En attendant, ces gens, déjà pauvres, dorment dans des cahutes en tôle ondulée non isolées, à l’approche de l’hiver, une trentaine d’entre eux sont morts de froid ou de maladie l’année dernière. Doit-on rire ou pleurer ? 

Nous entendrons cette histoire et d’autres du même acabit pendant tout le voyage. Mon Excellence doit rester diplomate jusqu’au bout et éviter l’ingérence intrusive dans les affaires du pays, mais d’autres auraient bien envie de dire leurs quatre vérités à quelques fonctionnaires enfermés dans leur bureau de Kathmandu...

Retour sur le terrain le lendemain dans un petit village plus haut dans la vallée. Nous parcourons maintenant des hameaux où tout a été rasé, entièrement reconstruits en logements temporaires (au crédit de l’état népalais : cela a visiblement été fait très rapidement après le tremblement de terre. Quelques leçons de celui, beaucoup plus grave, de 2015, ont été retenues) constitués de petites cahutes en tôle ondulée.

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Les maisons traditionnelles étaient ici souvent construites en galets de rivière, qui ont roulés les uns sur les autres pendant les secousses, amenant la plupart des maisons à leur destruction complète. De très jeunes femmes, enceintes lors du sinistre, ou avec de très jeunes enfants, ont été choisies en priorité pour bénéficier des tentes de l’Europe, de grandes yourtes plus confortables et mieux isolées que les cahutes en tôle ondulée. Quelques tentes bleues données par la Chine parsèment le paysage ici ou là également. Elles devaient servir pour l’urgence, un hiver maximum, mais il est évident que le temporaire s’installe pour durer. Aucune reconstruction n'a commencé, aucun fond de l’état népalais n’est encore débloqué pour ça. Beaucoup de ces jeunes femmes nous expliquent que leur mari est parti, soit en Inde, soit dans les pays du Golfe, pour payer une éventuelle reconstruction de leur maison. La migration, avant saisonnière (les hommes partaient en Inde une fois les moissons terminées au Népal), s’installe dans la durée. Déjà 30% des ménages de la province sont tenus par des femmes seules, mais dans les zones du tremblement de terre, il est évident que cette proportion est en train de monter beaucoup. L’hiver dernier, les maladies se sont propagées, pneumonie, typhoïde, favorisées par le manque d’hygiène et la disparition du peu d’infrastructure d’eau potable qui existaient. Là aussi, l’aide de l’Union Européenne a permis d’installer des toilettes d’urgence, des réservoirs d’eau : une aide qui permet de parer au plus pressé.

Une ONG nous nous explique qu’ils font également un inventaire des risques de glissements de terrain. C’est un autre fléau majeur du Népal : les routes sont régulièrement emportées par d’énormes affaissements ou des coulées de boue à la mousson. En cause, la topologie particulièrement complexe du terrain, liée à une géologie peu favorable. Toutes ces zones pré-himalayennes sont en faits d’énormes amas de roches sédimentaires (des galets, du sable, des roches friables peu agglomérées) très jeunes à l’échelle géologique, encore en phase de stabilisation. Les tremblements de terre fréquents créent des lignes de ruptures qu’un rien déstabilise. Ajoutons l’influence des infrastructures humaines, routes notamment, construites sans tenir compte de ces risques et sans normes, et l’on comprend mieux les innombrables accidents que l’on constate un peu partout dans le pays. Un éboulement en Août dernier a emporté deux bus et 70 personnes d’un coup. Un comptage a montré que ces glissements de terrain ont presque doublé depuis 2015 (le dernier grand tremblement de terre), et le nombre de victimes avec. Nous visitons un autre petit village, perché à flan d’un abrupt coteau. La population locale préfère l’ignorer, mais il est évident que ce hameau est condamné. Les éboulements l’encerclent presque. Ces gens devront être relogés plus bas dans la plaine…ou finiront par émigrer.


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Une autre étape à l’hôpital du district achève le tableau pas très optimiste de ce voyage. L’ancien ayant été complètement rasé par le tremblement de terre, il a été remplacé dans l’urgence par des tentes de l’OMS qui abritent toujours l’ensemble de ses services, le tout animé par deux médecins qui font au mieux avec ce qu’ils ont. Mais, comble de l’ironie, le tout est surplombé par un bâtiment de 3 étages en béton qui a, lui, parfaitement résisté au séisme. Il s’agit du futur nouvel hôpital, qui était déjà en construction lors de la catastrophe, ça tombait bien, il n’y avait plus qu’à le terminer au plus vite ! Mais les travaux sont arrêtés pour des raisons inexplicables: un an plus tard, les malades toujours sous des tentes au pied du chantier. Un Népalais nous assure que ce sera fini dans 6 mois. Aucune chance ! Scandale absolu.

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Tremblement de terre, éboulements, inondations liées aux moussons de plus en plus extrêmes alternant avec des périodes de sécheresse. Ce pays et sa population font face à des risques naturels considérables (le Népal est jugé comme le 4ème pays le plus exposé aux risques liés au changement climatique, en plus du risque sismique : il n’y a pas que les Maldives !) qui maintiennent les plus pauvres dans une précarité dangereuse et les poussent à l’émigration.

L’aide internationale pare au plus pressé (avec les effets pervers mentionnés plus haut), mais la lenteur des autorités népalaises et la complexité institutionnelle que le pays s’est choisie lors de la constitution fédérale de 2015 ne poussent pas à l’optimisme. La montagne à gravir est bien haute, les montagnards Népalais sont bien placés pour le savoir.


Les cinq heures de route de retour par le même chemin nous permettent d’admirer cette vallée sous un autre angle. Toujours assez vierge, c’est le Népal de moyenne montagne de carte postale. Mais la nature est ici schizophrénique, à la fois magnifique et porteuse de dangers invisibles. Comme en écho, nous croisons cette fois-ci plusieurs fêtes de mariage, après les crémations de l’aller :  c’est une journée auspicieuse !

Dernier jour à Surkhet où nous visitons un pensionnat établi par un responsable de la caste Badi : la plus basse strate des intouchables (c’est dire…). Même si le Népal a officiellement banni le système de castes, ils sont complètement marginalisés, souvent relégués à la prostitution. Boire à la même fontaine qu’eux ou les laisser rentrer dans sa maison est considéré impur, et personne n’accepterait de leur louer un logement en ville. Ce jeune homme a monté, seul, ce pensionnat accueillant 120 enfants envoyés ici par leur famille pour être scolarisés, nourris et éduqués dans de meilleures conditions que ce que leur village éloigné peut leur offrir. Il gère ce centre uniquement sur la base de quelques dons et des bonnes volontés qu’il a réussi à réunir.


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Ce sont cette fois-ci les contacts et les appuis institutionnels de la délégation de l’Union Européenne qui peuvent aider, pour permettre à ces enfants de continuer leur trajectoire une fois qu’ils quittent le pensionnat, et essayer d’assurer des revenus récurrents à l’institution pour lui permettre de continuer sa mission. Pour l’instant, le directeur nous avoue lui-même que beaucoup de ces jeunes retournent dans leur village, se marient très jeunes, et aspirent à émigrer dès qu’ils le peuvent. Mais même pour ça, ils n’ont pas les réseaux leur permettant de le faire dans des conditions correctes. Les institutions étatiques népalaises sont souvent dépassées et peinent à fournir le service minimum malgré l’aide qu’elles reçoivent.

Mais ces rencontres sur le terrain offrent des éclairs d’espoir par les initiatives individuelles qu’elles permettent d’identifier et de soutenir, vaille que vaille.

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Comme ces multiples ruisseaux qui coulent de ses collines et forment ces rivières crystallines qui parcourent la province de Karnali, ce sont ces multiples individus, leur énergie et leur volonté qui peut-être réussiront à créer le fleuve qui permettra au destin du Népal de s'écouler plus sereinement.

 
 
 

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Népal: récit de voyage

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