Cimes, brumes et ornières
- fredvassort2000
- 29 avr. 2024
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 avr. 2024

Le sentier monte tranquillement le long d’un torrent turquoise qui descend des glaciers, beaucoup plus haut. Nous expérimentons le « plat népalais » : 200m de montée, 200m de descente, donc plat en moyenne…mais nos jambes n’apprécient pas forcément l’humour local. A travers cette forêt d’abord tropicale, comme on en trouve partout autour de Kathmandu, puis de bambous où viennent se nourrir à la fin du printemps, les pandas rouges du Népal (mais que nous n’avons pas vus, pour rester fidèles à notre tradition établie depuis les tigres de Bardia (https://www.nepalimpressions.com/post/les-tigres-du-bengal-%C3%A9taient-en-gr%C3%A8ve), nous montons lentement en altitude, sans en avoir l’air.
Sortie de Kathmandou, en voiture 4x4 (heureusement), pour rejoindre notre destination de treck : 120km, le GPS indique 4h30 (…il s’est habitué aux conditions népalaises). Quinze minutes après avoir quitté la maison, alors que nous virevoltons dans les ruelles des faubourgs nord de la ville, première anicroche : une route est fermée pour travaux. Nous suivons donc l’itinéraire non-indiqué que tous les autres ont l’air d’emprunter aussi. Les rues se transforment en chemins poussiéreux escaladant les flancs des collines de la cuvette de Kathmandou. Un évitement de pierres, un chien qui s’échappe sous les roues, deux ornières aussi profondes que les essieux de la voiture….nous amènent à une autre route…fermée elle aussi !! Visiblement, pour fête religieuse cette fois-ci. Le GPS a abandonné depuis longtemps, et nous ne devons qu’à la bonne éducation de ses programmeurs (ou leur manque d’imagination ?), qu’il ne nous insulte grassement. En attendant, c’est moi qui le fait, à destination du reste du monde, urbi et orbi. Au flair, nous nous dirigeons donc par des sentiers secondaires à travers les dernières maisons de la ville, parsemées des champs de blé presque mur, …et des tas d’ordures, vers le nord et le flanc des collines. Enfin, au bout d’une heure, nous émergeons sur ce qui ressemble à « la » route quittant la ville vers le nord. Le GPS a repris ses esprits et accepte de poursuivre notre guidage, toujours 4h30 de route alors que nous sommes déjà partis depuis une heure. C’est un fait peu connu, mais Einstein était Népalais, la relativité du temps est ici une réalité quotidienne.

Le chemin se fait plus escarpé, nous avons laissé les bambous derrière nous. La gorge de la vallée se resserre, le torrent au fond mugit et éclate parfois en cascades lumineuses. La végétation, comme partout dans le pays, est extraordinaire. Ce sont maintenant des conifères (cèdres, ou pins gigantesques) qui se dressent pour aller chercher la lumière du fond de ces gorges. Le guide nous montre des ruches sauvages accrochées à une falaise, qui produit le fameux « mad honey » (https://en.wikipedia.org/wiki/Grayanotoxin), miel hallucinogène fabriqué par pollinisation d’une certaine fleur de rhododendron…il est aussi toxique (arrêt cardiaque) à dose un peu plus forte (certaine Excellence, par coupable gourmandise, aurait dangereusement frôlé la frontière entre hallucinations et toxicité nous a-t-on rapporté de sources sures). Pas de danger ici, nous sommes dans un parc naturel, la récolte n’est pas autorisée. Parfois le sentier redescend jusqu’au lit de la rivière, glaciale mais merveilleusement turquoise. Il faut ensuite remonter le long des gorges pour continuer à gagner en altitude.


Traversée magique d’une longue forêt de rhodendrons. Ici, cette aimable fleur de nos jardins européens se mue en arbre de 10m de haut, constituant dans cette région des forêts entières. Nous sommes juste à la saison de la floraison. Les arbres sont chargés de ces énormes fleurs, souvent rouge vif, parfois rose, encore plus rarement blanc. Les oiseaux y nichent en nombre, et agrémentent encore ce spectacle de leur chant. Moments d’apesanteur ou la raideur du chemin se fait oublier, la fraicheur printanière de notre environnement nous permettrait de marcher encore des heures.

La voiture fait parler tous ses Cv en s’accrochant à la route escarpée et sinueuse qui permet de passer au-delà de la vallée de Kathmandu. Les bus et camions arrivant en contre sens et occupant toute la route l’ignorent superbement, et les coups de phares incitent à se ranger, soit le long de la falaise, soit dangereusement prêt du vide, mais miraculeusement, les uns ayant presque une roue dans le vide, les autres frollant la paroi, …ca passe toujours. Nous débouchons enfin au col, au milieu de la jungle qui grimpe jusque là. Déception, nous ne voyons d’un côté, ni la ville, ni, de l’autre, l’Himalaya pourtant normalement presque à portée de main. Une fois encore, la brume, cette fois-ci, une épaisse pollution émanant des feux de forêts du sud du pays, a recouvert tout le Népal, et bloque toute visibilité. Kathmandou est depuis quelques jours la ville la plus polluée du monde, et cette crasse s’est étendue à toutes les vallées du Népal.

(chaque point rouge est un feu de forêt)


Arrivés à notre première étape, un petit hameau à la lisière de la forêt, au bord du torrent dont le mugissement emplit l’espace. Sommaire, pas d’électricité, « sanitaires » …symboliques, mais la fatigue de la journée alliée à la gentillesse des hôtes népalais et la découverte de nos premiers dahlbath et momos de l’excursion, nous comblent.

Le soir tombant vers 18h, nous profitons rapidement d’une nuit froide mais réparatrice dans nos duvets. Le départ le lendemain nous amène rapidement vers les pâturages, ou paissent les premiers yaks. La population locale est tibétaine, exilée depuis son annexion par la Chine, juste derrière les crêtes des sommets environnants. Car, victoire, enfin, après tant de déconvenues, de doutes, de suspicions conspirationnistes que le Népal était en fait presque aussi plat que la Hollande, nous y sommes enfin : plus de brume, la vallée s’est ouverte pour laisser apparaitre les premiers sommets de l’Himalaya, se découpant, cristallins, au dessus des falaises de roches noires qui dominent notre sentier.


L’immensité de ces cimes (les sommets que nous voyons culminent entre 6 et 7000m, soit environ 4 ou 5000m au dessus de nous), même encore lointaines, est saisissante. On a pu l’imaginer, la rêver, mais l’apercevoir ainsi pour la première fois reste fascinant et l’on ne saurait jouer les blasés. Nous ne sommes toujours qu’au début de ce chemin, mais ces montagnes gigantesques nous aspirent déjà, semblent nous tirer vers le haut. Et de fait, nous continuons à nous élever, passant quelques fermes (souvent transformées en auberges pour randonneurs) et apercevant au loin un troupeau de chèvres de montagnes.

La montée est maintenant plus rude, nous passons parfois des éboulis amenés par les glaciers qui nous surplombent. Le tremblement de terre de 2015 a fait ici des ravages, un village entier a été rasé par le souffle d’une gigantesque avalanche déclenchée par le séisme (https://www.youtube.com/watch?v=ZWKKnq003Ng). La vallée a compté plus de 700 morts. Il fut reconstruit quelques centaines de mètres plus haut, c’est notre destination du jour, dominés par ces cimes enneigées, évoluant maintenant dans un paysage mêlant alpages, rocs et eau des torrents qui descendent des neiges éternelles.


Après avoir serpenté sur une route enfin plus carrossable au fond d’une vallée verdoyante, nous entamons la dernière partie de notre trajet d’approche : le franchissement de plusieurs crêtes menant à la vallée du LangTang, la destination de notre treck. Les autorités népalaises, certainement dans un objectif « durable » de restriction de l’impact du tourisme de masse, se sont assurées que seuls les plus motivés (ou suicidaires ?) y auront accès. La route s’est définitivement muée en chemin muletier, mais sans pour autant en écarter les énormes camions (nous verrons même un convoi exceptionnel chargé de transformateurs de plusieurs dizaines de tonnes sur des plateformes multi-essieux), les bus brinquebalants menés par leur tandem conducteur et assistant en pendulaire par la porte ouverte.
Notre brave 4x4 avance, ornière après ornière, évitant le précipice d’un côté, et, parfois, ironiquement, de l’autre, la bande de béton frais ne couvrant qu’une demi largeur du chemin (qui, un jour, peut-être, deviendra une route ?). Toutes les nombreuses déités du pays s’unissent à la précision millimétrique des conducteurs (dont on ne saluera jamais assez la dextérité ou l’inconscience, selon l’humeur du moment) pour permettre au trafic montant de croiser le descendant.

Les lacets vertigineux s’enchainent, heureusement, la brume sale obscurcit un peu la perspective. Descente très raide, pierres au milieu du chemin, 1000m de vide à gauche, falaise à droite, …et un camion montant dans le sens opposé, qui par ses appels de phares et son klaxon hurlant montre bien qu’il ne cédera pas le passage. Cette fois, pas d’alternative, il faut négocier le même chemin, mais en marche arrière: nous sommes en niveau « expert », les passagers ferment les yeux, le conducteur est en apnée. 35 lacets, une traversée d’un pont bringuebalant, et, juste avant notre arrivée, un bus éclatant un pneu plus tard,…nous voici arrivés destination, au pied de la vallée du Langtang !

Dernière étape de montée, nous atteignons par un long dernier « plat népalais », le bas de la morène des immenses glaciers qui coulent des sommets du Langtang. A une altitude d’environ 3500m, nous commençons à remarquer que le souffle se fait court, les gestes plus lents. Des moulins à prières « hydrauliques » (mus par le torrent) ou éoliens agrémentent le paysage et nous encouragent à monter plus haut.
Les cimes impressionnantes nous entourent maintenant, la vallée s’est soudainement élargie pour laisser place aux nombreux glaciers qui s’y précipitent. Des fermes de yaks parsèment l’alpage où ces énormes bêtes paissent les quelques brins d’herbes (en faits, surtout de maigres épineux) qui poussent entre les rochers. Enfin nous atteignons le village étape ou nous pouvons faire halte.


Les deux plus en forme d’entre nous continuent vers le sommet dominant, à 4350m, la cascade glaciaire descendant des massifs à 7000. Cette fois-ci, la haute montagne s’impose à nos organismes. La montée est raide, le vide sous nos pieds s’accroit rapidement, et surtout, la respiration est d’autant plus rapide que nos pas sont plus lents ! La barre des 4000m est franchie, une première pour moi. Un dernier sursaut rocheux, et nous débouchons sur la courte mais pentue arrête sommitale.1000m de vide de chaque côté, le vent souffle fort, nous nous sommes emmitouflés dans nos vestes en duvet, et atteignons enfin le sommet décoré de centaines de drapeaux de prière. Un guide local virevolte sur les rochers de cet éperon acéré pour prendre des photos. Nous nous contentons de reprendre notre souffle en contemplant en silence ces immensités.
Le village s’inscrit au fond de la vallée d’un côté, les glaciers et sommets enneigés de l’autre. L’Himalaya s’offre à nous dans son immensité. Ici, plus de brume de pollution, plus de camions crachotants, plus de route infernale, juste la nature brute, violente aussi, mais, cristalline. La récompense de l’effort fait oublier la fatigue, le vent violent des cimes grise et abrutit nos sens enivrés par ces sommets. Les montagnes du Népal sont enfin, sinon à portée de main, au moins à portée immédiate de nos regards.



L'équipe au complet, merci et bravp à la famille Gosset-Autissier pour la rando !
Redescente dans la vallée, évidemment beaucoup plus rapide que la montée. Mais le changement de sens offre des perspectives que nous n’avions pas vues à la montée. Tout en bas, avant le village et la route, un gros barrage hydraulique est en construction au milieu du torrent, par une société indienne.

C’est l’axe de développement industriel majeur du Népal, pour exporter son électricité vers ses voisins. Les ouvriers sont logés dans des cahutes de tôle ondulée en plein soleil, et travaillent sur cet énorme site, en sandales. Nous réalisons alors que la piste chaotique à flan de montagne que nous avons empruntée pour venir, sert aussi à amener les milliers de tonnes de ciment, de matériel et autres énormes engins de chantier jusqu’à ce site… Nous reprenons, encore plus prudemment, cette route infernale, dans la brume de pollution qui nous a regagné, vers la chaotique Kathmandou. Nous mettrons 7h, pour 120km.
Paradoxal Népal, offrant les plus majestueux paysages, la nature la plus luxuriante et les habitants les plus accueillants, mais toujours aux prises avec les pires affres du sous-développement pré-industriel, semblant osciller entre ces deux versants du pays comme nous au sommet de ses montagnes. Le chemin de crête est étroit, souhaitons que le pays réussisse à s’y maintenir.




WoW ! Incroyable récit de voyage pour ce trek mouvementé ! J’ai l’impression d’y être avec vous ! Merci pour ce partage, ces belles photos et ces réflexions de voyage, Frédéric !
Minh.
Hâte de connaître les mêmes émotions / sensations !! Ce sera pour mi-octobre…peut-être certaines routes auront-elles été goudronnées d’ici la ? 🤣
Hâte en tous cas de découvrir les paysages de l’Himalaya !
Bises
1,000 mercis Fred d'avoir été des nôtres pour cette escapade népalaise. Un grand merci pour votre accueil à Kathmandu. Profite de ces années à venir pour découvrir ce pays merveilleux, riche de ses habitants et de milliers de vallées perdues. Les Népalais sont d'ores et déjà en route. Ils avancent à leurs pas. Lent et mesuré. Celui du montagnard qui mesure ses efforts face au chemin à parcourir. A bientôt pour de nouvelles aventures, Amitiés, Cyrille
Tres beau résumé de notre aventure ! Merci Fred pour ces 5 jours de trek inoubliables. Fascinant Népal qui n’en finit pas de nous surprendre. A bientôt pour une nouvelle exploration! Bises, Valérie