Les Tigres du Bengal étaient en grève
- fredvassort2000
- 11 déc. 2023
- 6 min de lecture
De retour au Népal, cette fois-ci pour de bon, après deux mois pour cloturer ma vie professionnelle belge, nous voici de nouveau tous deux prets à explorer notre pays d'adoption. Véronique a pris un peu d'avance sur moi, mais compense en m'invitant à la rejoindre pour sa seconde mission sur le terrain.
En route donc pour le Sud-Ouest du Népal, tout près de la frontière indienne.
Le Népal est un grand rectangle d'environ 800km de long et 200 de large, posé au Nord de l'Inde, juste en dessous du Tibet (la Chine dirait Camarade Xi). Bien que pays par essence himalayen, il comprend en faits aussi un étage de grandes plaines irriguées par les affluents du Gange descendant des montagnes et se précipitant ensuite vers le golfe du Bengale. Ces plaines, faisant frontière avec l'Inde composent la région du Teraï (elle-même découpée en plusieurs provinces, mais laissons celà pour une autre fois).
Fertiles, car formées des limons et sédiments de l'Himalaya, et parcourues de nombreuses rivières, elles sont également arrosées par la mousson pendant les mois d'été et sont donc couvertes à la fois de zones agricoles, et de vastes zones de jungle encore intactes.

Le cadre géographique ainsi posé, nous voici donc partis vers Nepalgunj, la grosse ville du sud, frontalière avec l'Inde. Buddha-Air nous convoit, dans un magnifique ATR72 presque neuf. Buddha ornant la queue de l'appareil, nous sommes protégés des dieux. Précaution pas inutile dans ce pays à la géographie, la météo, ...et les procédures aériennes, un rien compliquées et aléatoires (https://www.rtbf.be/article/crash-dun-avion-au-nepal-le-bilan-salourdit-a-68-morts-et-lespoir-de-retrouver-de-survivants-est-desormais-nul-11136594). Disons que la loi de la gravité semble s'orner de quelques exceptions au dessus du Népal.... Rapide coup d'oeil plein d'une soudaine irrepressible ferveur bouddhiste vers les ateliers de maintenance de l'aéroport (ci-dessus) avant de décoller dans le smog de ce début d'hiver (le pilote avait allumé ses phares, donc tout va bien).
Jettons un voile pudique sur les paleurs, raideurs soudaines, et accélérations vertigineuses du rythme cardiaque de Son Excellence et réjouissons nous d'avoir pu sauver ma main de l'amputation après 1h30 de vol un peu chahuté dans les nuages couvrant les montagnes, il faut le reconnaitre.Buddha a fait son oeuvre, c'est l'essentiel.

Nepalgunj, nous voici ! Un petit aéroport provincial, qui arborera bientôt un terminal tout neuf (ce ne sera pas du luxe!) encore en construction. Comme nous avions déjà pu le constater lors de nos premières excursions, les villes ne sont pas le fort du Népal. Quelques rues poussiéreuses parsemmées de petites échopes, comme on en voit partout ici. Un grand stock d'hydrocarbures vers lequel s'acheminent des norias de camions-citernes venant de l'Inde tout proche car c'est ici le principal point d'importation d'essence du pays, le Népal étant, pour cela aussi, complètement dépendant de son grand voisin du Sud.
Quittons vite Nepalgunj donc et parcourons la campagne du Terai, en direction du parc national de Bardyia.
Environ deux heures de route dans cette plaine, une route rectiligne donc, on en perd vite l'habitude au Népal !
Heureuse transition après la ville de Nepalgunj, la campagne est très cultivée, de petits lopins récemment moissonnés de riz, de pommes de terre, et surtout, à cette saison, de moutarde dont les fleurs jaunes, avec un peu d'imagination, nous rappellent les grands champs de colza du nord de l'Europe au printemps.

Les couleurs sont vives malgré cette brume caractéristique de la saison sèche du nord de l'Inde, les montagnes dessinent leur crête à l'horizon,marquant la transition vers le massif de l'Himalaya. Peu de voitures, surtout des bus et camions, de nombreux vélos parfois chargés de fagots de bois, de sacs agricoles, et d'enfants qui vont à l'école dans leurs uniformes. Cette vie rurale semble certes pauvre, mais pas misérable. Les champs et les petites fermes sont impécablement tenus. Partout l'on croise des chèvres, des buffles ou des vaches (la différence étant que les buffles ont une fourrure sur la tête, et les vaches d'ici, une bosse, mais surtout, la vache est sacrée alors que le buffle peut être mangé..tant pis pour lui).



Nous traversons une première partie de forêt du parc, gardée par l'armée qui s'assure que les véhicules ne s'attardent pas pour empécher le braconage, ni ne roulent trop vite, pour éviter les collisions avec les animaux.
Nous arrivons finalement à la petite guesthouse tenue par une famille Tharu, l'ethnie de la région. Première d'une nombreuse série de cérémonies de bienvenue avec remise de colliers de fleurs, chaleureuse tradition népalaise qui souligne la qualité de l'accueil du pays.


Le parc de Bardhyia (https://bardianationalpark.gov.np/en/) est l'un des deux grands parcs naturels de jungle du Népal. Il s'étend sur une superficie d'environ 1000km2 (environ 30x30km), et de plus rejoint, à travers la frontière, un autre parc naturel indien, formant ainsi une immense zone de préservation des espèces de cette jungle du nord du sous-continent. Créé formellement comme parc en 1976 (avec les inévitable perturbations liées à la guerre civile du début des années 2000), il était, ironiquement, prélablement une zone de chasse du roi ou il est venu parait-il notamment massacrer des dizaines de tigres avec d'autres têtes courronnées .
Les temps ont changé, et ce parc peut maintenant fièrement, et à juste titre, se targuer de résultats extraordinaires dans la préservation des tigres notamment: leur population est passée d'une vingtaine à environ cent vingt en vingt ans. Le tigre du Bengal, l'espèce du nord du sous-continent, est en train de reprendre ses droits dans ces forêts notamment grâce à l'action des gestionnaires de ce parc.
Nous avons droit à une discussion passionnante autour du feu avec le gardien-chef du parc, un Népalais remarquable, qui nous explique comment, avec très peu de moyens (mais notamment le soutien du WWF https://www.wwfnepal.org/, dont les représentants locaux ont organisé cette visite pour nous), il a réussi à construire un équilibre entre la gestion des animaux, de la forêt, et des villages avoisinants, impliquant les villageois, leur créant des emplois liés au parc, construisant et animant des comités de gestion où tous sont impliqués, y compris l'armée (le colonel ci-dessous) qui fournit un bataillon entier (800 hommes), pour la protection du parc.


Même au bout de seulement quelques semaines, on peut facilement se laisser aller à un négativisme mortifère sur l'(in-)action des autorités politiques du pays,mais rencontrer ces gens "du terrain", intelligents, dévoués à leur cause et emprunts d'une modestie naturelle qui ne met que mieux en relief leurs réussites donne foi en l'avenir du pays malgré tout.

Enfin, lors d’une sortie vespérale, le parc s’offre à nous. Juchés sur des jeeps, nous parcourons cette forêt qui alterne entre zones denses de jungle, sous-bois de grands « Sal Tree » (https://en.wikipedia.org/wiki/Shorea_robusta pour les latinistes et botanistes distingués) à l’écorce rugueuse, et grands espaces ouverts de type savane couverts de hautes herbes à éléphant. Presque immédiatement, des daims (spotted deers) nous croisent en nous ignorant un peu dédaigneusement, puis un sanglier ou phacochère et sa petite famille (assez rares ici car ils ont été décimés par une épidémie). Notre guide scrute à la jumelle les croisées de chemin à la recherche du rois des félins, mais nous rentrons à la nuit tombée sans avoir aperçu son pelage fauve.



La zone est également composée d'une zone de rivières qui traversent le parc vers l'Inde,et abritent, outre une multitude d'oiseaux migrateurs, des loutres (très rares ici et faisant l'objet d'un programe de ré-introduction), des crocodiles et des gharials (crocodile d'Inde, à la longue fine machoire). Une seconde sortie le matin nous permettra d'observer cette faune, dans son habitat naturel, à se demander si c'est nous ou eux les observateurs.





De multiples oiseaux, des daims de divers types qui paissent autour de nous, mais des tigres, des éléphants, des rhinocéros, les animaux emblématiques du parc..point !


Deux sorties, des haltes à divers endroits, une petite marche vers une tour d’observation, des rencontres avec des locaux nous jurant leurs grands dieux, qu’hier, ici même, le tigre était passé, …mais non, le roi de la jungle se fait désirer. Tout au plus verrons nous ses traces (impressionnantes !) fraiches du matin dans un chemin.

Le chef du parc nous montre tout de même un de leurs congénère délinquant, qui a été capturé suite à un « incident » comme il dit avec un sens aigu de la litote (cet énorme spécimen a tué un ou deux villageois, probablement pris d’une petite fringale…) et mis en cage pour lui apprendre. Son regard magnifique nous scrute, nous derrière ces barreaux protecteurs, un peu tristes de voir cet énorme et splendide animal purger sa peine ainsi. Mais telle est la justice des hommes, qui s’applique ici aussi aux tigres.

Comment dit on "dura lex sed lex" en tigre ?
Idem pour un vieux rhinocéros en fin de vie qui avait lui aussi « accidentellement » piétiné un enfant (on ne fait parfois pas attention où l'on marche, mais quand on est rhino, c'est plus grave). C’est donc la prison du parc que nous visitons, faute de mieux. Précisons cependant que ces accidents sont rares, environ un ou deux par an en moyenne, pour une population autour du parc d’environ 50.000 habitants et une faune en constante augmentation. Le parc a d’ailleurs mis en place des systèmes de compensations, basés sur une intervention de l’état et un système de fond de garantie et d’assurance gérés par les communautés.
Lors de nos rencontres avec les habitants et notamment les responsables des divers groupes de coordination avec le parc, une certaine compréhension et acceptation mutuelle semble prévaloir, même si bien sur nous ne pouvons appréhender tous les détails et les complexités liés à la cohabitation de ce monde rural et de cet immense espace de préservation animale.




Dernier parcours à travers la forêt sur le chemin du retour vers Nepalgunj, mais non, décidemment, ces derniers jours, le Tigre du Bengal était en grève. Le parc seul, la rencontre avec ses habitants, la compréhension de ces interactions d’équilibristes dans la gestion d’un espace naturel fragile mais plein de potentiel ont cependant pleinement comblé ces trois jours. Nous reviendrons, en espérant que l’action syndicale aura cessé !




Commentaires