Annapurna, forêts et influenceuses
- fredvassort2000
- 22 oct. 2024
- 8 min de lecture
Le trajet de deux heures en voiture (50km) semble presque court, maintenant que nous sommes habitués aux routes népalaises. Seulement une marche arrière le long du ravin pour laisser passer un bus descendant la piste défoncée, la routine.
A pied d’œuvre (et uniquement à pied maintenant) pour les 6 prochains jours de randonnée au pied du massif de l’Annapurna : le chemin part de Ghandruk, petit village à environ 2000m normalement célèbre pour son panorama sur l’ensemble de la chaîne. Mais, bien sur, c’était sans compter sur notre karma (voir, notamment Les tigres étaient en greve): même juste en face du plus spectaculaire panorama du monde, nous devons pour l’instant encore une fois nous satisfaire du magnifique panneau descriptif. Là encore, nous sommes habitués… :nous nous extasions comme il se doit devant le panneau.

Faute d’autres options, nous entamons donc la marche, vers le haut, car, comme certaine (?) l’ont visiblement oublié, quand on part en randonnée en montagne, plus souvent qu’ailleurs, ça monte…
Marche après marche, car ces facétieux Népalais ont cru bon de faciliter l’accès à leurs villages escarpés en les reliant par d’interminables escaliers de pierre.

Nous avons dû grimper à la montée, puis à la descente, au moins l’équivalent de 10 tours Eiffel par les escaliers….l’option ascenseur, même avec supplément, ne nous a pas été proposée.
Mais bientôt, nous pénétrons dans ces fantastiques forêts népalaises accrochées aux flans de ces montagnes aux environs de 3000-3500m. La forêt est d’abord une jungle, avec ses lianes, ses plantes parasites accrochées aux troncs, ses gargantuesques lichens qui pendent des branches, fougères géantes, énormes bouquets de bambous, tout y est.
Même une grande troupe de singes sème la panique dans la canopée à notre passage.
Et sans transition aucune, la jungle laisse la place à une forêt plus aérée, formée d’immenses arbres aux troncs rouges tortueux et au feuillage luisant. Renseignements pris, il s’agit d’une des nombreuses espèces de rhododendrons, que nous n’avions pas reconnus tellement ils sont immenses.


Les aimables buissons de nos jardins européens sont leur version bonzaï en quelque sorte. Il nous faudra revenir au printemps quand ces forêts qui couvrent tous les flancs des montagnes sont en fleurs, le Lantang il y a quelques mois m’en avait donné un aperçu, mais ici, c’est encore plus démesuré.
Cette végétation luxuriante et si diverse nous accompagnera pendant toutes ces journées. C’est une des richesses mal connues du Népal. Le réservoir de biodiversité ici semble infini.
Première nuit dans une « tea house » au milieu de la forêt. Nous devrons nous satisfaire du confort un peu spartiate de ces bicoques de montagne souvent gérées par les communautés locales, mais dont le confort et même la propreté, avouons le, laissent souvent à désirer.
Réveil tranquille cependant, première nuit en altitude sans histoire, et départ dans la forêt avant d’en sortir pour traverser les premiers alpages et zones rocheuses. Et là, enfin, au sortir de la forêt, dans cette lumière matinale cristalline, la chaîne de l’Annapurna s’offre à nous dans toute sa majesté.

Nous l’aurons sous les yeux presque tous les jours, le matin, avant que les nuages n’en recouvrent les pics au fil de la journée.


Machapuchare, à l’extrémité Est, qui s’élève solitaire et détaché du reste de la chaîne avec une certaine majesté presque arrogante, faisant évidemment penser au Matterhorn (Cervin) en presque deux fois plus haut. Les différents pics de l’Annapurna (Sud,IV et I, le plus élevé), s’enchainent vers l’Ouest, avant le grand sillon de la vallée de la Kalli Gandakri (que nous avions remontée vers le Mustang il y a quelques mois) qui les sépare de l’imposante masse du Daulaghiri.

Impossible alors de ne pas penser aux premiers alpinistes venus parcourir ces mêmes sentes il y a 75 ans : l’expédition française Herzog qui s’est finalement péniblement frayé un chemin jusqu’au sommet de l’Annapurna après n’avoir pas pu trouver d’accès vers le Daulaghiri, leur but premier. C’était il n’y a pas si longtemps, mais à l’époque,leur caravane de plusieurs centaines de porteurs avait dû parcourir tout le chemin depuis l’Inde à pied, aucune route n’existant dans la région. Les cartes étaient fausses (les nôtres actuellement ne sont pas des exemples de précision non plus, mais des progrès ont été faits quand même), certaines vallées manquaient complètement, ces pionniers méritaient leur nom et encore plus leur renommée. Mesurons les progrès accomplis dans cet intervalle, nous permettant aujourd’hui de parcourir les abords de ces mêmes hauteurs comme de vulgaires citadins s’offrant une escapade que nous avons presque l’outrecuidance de trouver aventureuse. Mais mesurons également l’impression encore plus grandiose qu’ont dû produire ces immenses sommets sur ces occidentaux les découvrant pour la première fois.
Notre excursion continue ainsi les deux prochains jours de colline en colline (au Népal, tant qu’il n’y a ni neige ni glacier, même à 4000m, il s’agit de colline, pas de montagne : assez vexant quand on termine une journée, harassé…). Les dîners aux tea houses faits de Dahl Baht ou de riz frit compensent le manque de diversité par la qualité : tout est frais et cuisiné sur place, les légumes viennent du potager attenant à la maison (même en altitude) et la mère de famille est aux fourneaux (souvent primitifs eux aussi).

Nous remarquons cependant, autour de chaque maison de ces vallées, de curieux plants ressemblant à des tomates, sans fruits…qui s’avèrent bien être de la marijuana (le fameux « weed » des hippies) qui pousse ici un peu partout. C’est une plante médicinale, rien à redire!

Nous arrivons au point culminant de notre excursion, à Khopra. Sommet de 3660m, que nous atteignons après une longue et raide montée le long d’un versant très exposé. Arrivée dans la brume, d’où émergent des bruits de sonnailles, jusqu’à ce nous distinguions les yaks paissant tranquillement en équilibre sur ces pentes pourtant peu herbues.

Etrange vision surréaliste de ces cornes et mufles émergeant du ravin embrumé. Derrière les yaks, enfin, l’étape de ce soir. Peu engageante : une basse masure de pierres recouverte de la tôle ondulée bleue qui a malheureusement défiguré bon nombre de maisons népalaises. Nous pénétrons dans la salle commune glaciale peuplée de silhouettes sombres emmitouflées encerclant un poêle, éteint. Un homme, le visage brulé et le regard vide se tient sur une chaise, sans expression. Nous apprendrons que c'est un Coréen arrivé la veille en épuisement total d’un sommet alentour et qui a passé la journée là à se reposer. L’ambiance n’est pas des plus folichonne.
Heureusement, on nous propose une douche chaude, c’est-à-dire un seau d’eau (effectivement chaude, heureusement) dans un réduit en tôle ondulée et sol en terre battue douteuse: le concept de spa népalais à près de 4000m doit encore être un peu affiné. Bref, un dahl baht par là-dessus et nous nous glissons dans nos duvets, mais décidons finalement de renoncer à l’étape du lendemain qui devait nous emmener à un lac à 4700m et surtout un retour pour une autre nuit dans cette charmante auberge. C’est le premier indice sérieux nous montrant que le tourisme népalais a encore quelques progrès à faire en infrastructure hôtelière.
Finalement nous redescendons par des vallons toujours aussi luxurieusement boisés et fleuris, en face du Daulaghiri, traversant des cascades rugissantes en cette fin de saison des pluies, pour arriver au charmant village de Swanta.
Les Gurung, l’ethnie de la région ont préservé une agriculture vivrière, cultivant sur des terrasses accrochées à la montagne, le millet, le mais, des légumes de toutes sortes, et élevant quelques buffles et chèvres. Nous retrouvons avec plaisir cette paisible vie rurale sur ce plateau surplombant la vallée pointant vers le Mustang.
La descente assez raide du matin pour rejoindre la rivière, augure mal de la remontée qui la suit immédiatement pour passer dans la vallée suivante. Nos cuisses encaissent avec peine. Ainsi est la vie du randonneur : incessante montée présageant la descente suivante, qui elle-même fera place à la prochaine montée, ainsi de suite: le montagnard prudent progresse d’un pas lent et économe dont l’allure dit la sagesse que ces monts lui ont inculquée. Ou, plus prosaïquement : « qui veut aller loin ménage sa monture ».
Heureusement, nous profitons toujours de ces paysages de haute montagne au loin, et d’alternance de jungle et replats cultivés, parsemés de charmantes maisonnettes encore préservées où habitent les quelques familles encore restées dans ces campagnes.



Mais voici la bourgade de Ghorepani qui se profile au sommet du col, notre étape du jour. Là prend fin la magie des petits villages népalais préservés, alors que nous rejoignons un des principaux itinéraires de trek de la région, à la portée de tous (de trop ?). Cet ancien village juché sur un promontoire au croisement des massifs de l’Annapurna et du Daulaghiri, qui, en des temps pas si anciens, a dû être idyllique, a malheureusement subi les affres des excès du tourisme. Chaque famille locale, probablement initialement enrichie par l’argent de leurs jeunes ayant émigré dans les Emirats comme beaucoup au Népal, a construit des « guest houses », rivalisant de mauvaise construction et de style douteux.
L’un ayant construit 3 étages pour avoir la vue sur les montagnes, s’est trouvé concurrencé par son voisin plus fortuné qui a fait 2 étages de plus et lui bloque le paysage. Ainsi s’est malheureusement suicidé le charme de ce petit village, maintenant transformé en cité dortoir pour touristes. Finalement, le soir, au bout du village, nous découvrons une petite aire herbeuse où sont alignées des tentes d’un groupe de Suisses, face à la montagne : ce sont eux qui ont raison. Triste évolution du tourisme népalais, laissé en déshérence par les autorités qui ont été incapables d’une moindre réglementation, ou d’encadrement des pratiques, et a laissé une bonne partie du potentiel du pays se dégrader. Les sommets au couchant, imperturbablement, contemplent de haut ces dégradations humaines assez vaines.


Lendemain matin, nuit noire, 4h30 du matin, montée à la lampe frontale vers « Poon hill », un des plus célèbres point de vue du Népal. Célèbre il est, et victime de sa célébrité surtout, il subit une cohue de centaines de randonneurs plus ou moins expérimentés gravissant ses flans pour observer le lever du soleil à son sommet. Là aussi, les excès du tourisme font des ravages. Devant la splendeur du soleil irradiant les sommets de l’Annapurna encore embrumés, s’agite une foule parfois navrante de randonneurs, et même d’influenceuses biélorusses hyper lookées qui n’ont d’yeux que pour leur téléphone à travers lequel nous ne sommes pas sur qu’elles voient vraiment le paysage (mais leurs multiples tenues de marque, certainement !). Une Espagnole demi-hystérique hurle qu’elle est là pour les ondes positives que sa méditation lui transmet (et si elle nous laissait méditer en paix devant le paysage ?), des Hollandais semblant directement sortis d’un bar d’Amsterdam font concours de gesticulations bruyantes. Le zoo touristique de ce sommet au lever du jour gâche un peu l’ambiance, mais les montagnes, elles, nous ont tout de même offert leur spectacle.




Une demi-heure après le lever du soleil, comme par enchantement, tout le monde a disparu on ne sait où, et nous pouvons continuer notre chemin, seuls désormais, sur la crète à travers alpages et forêts. Deux heures plus tard, nous parvenons à une auberge isolée, profitant du même panorama que PoonHill, mais désertée des masses, elle : à retenir pour la prochaine fois.
Nous entamons alors notre descente de deux jours, d’abord en raides pâturages herbeux, puis de nouveau dans ces immenses forêts magiques du Népal.
De nouveau, rhododendrons géants, pins gigantesques, fougères arborescentes et même quelques chênes (différents des nôtres), jusqu’à atteindre au fond de la vallée les villages accrochés au dessus des gorges, où les seuls livreurs sont les troupeaux de mules gravissant gaillardement ces milliers de marches que nous descendons en essayant d’épargner nos genoux.
Nous bouclons donc au terme de 6 jours ce tour au pied de l’Annapurna et du Daulaghiri, ayant parcouru avec émerveillement ces forêts envoutantes, ces flans de vallées escarpées, et admiré de près ces géants mythiques de plus de 8000m qui imposent leur force au paysage. Heureux et fiers (surtout certaine, à juste raison !) d’avoir terminé sans douleur, attristés, un peu, par les excès mal maitrisés du tourisme même sur ces hauteurs, mais sachant que cette région n’est qu’une infime partie de l’Himalaya népalaise, espérant donc que le reste pourra être préservé.





































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